Les myxomycètes observés sur Amorphophallus titanum, jardin Jean-Marie Pelt, Nancy.
Résumé : Des fragments secs d’Amophophallus titanum ont été mis en culture en chambre humide. Ils n’ont fourni que 4 espèces de myxomycètes, toutes les 4 très fréquentes ; l’une d’entre elle possède néanmoins des caractères microscopiques suffisamment variables pour nous avoir interrogé sur la présence éventuelle de plusieurs espèces ressemblantes. Après étude nous avons conclu provisoirement que ce caractère relevait de la variabilité intraspécifique de l’espèce. Les quelques lignes ci-dessous détaillent la méthode employée et les résultats obtenus.
Introduction
Les myxomycètes sont des eucaryotes unicellulaires plurinucléés alternant plusieurs stades de vie : ils naissent amibes, évoluent en plasmodes et finalement se structurent en fructifications contenant les spores destinées à la reproduction (Leontyev et al., 2019). Leur nombre est estimé à un peu plus de 1000 espèces connues en 2017 (Stephenson et al.,2017).
Durant leurs phases amibes et plasmodes, nécessitant une humidité constante pour leur survie, ils se nourrissent par phagocytose, essentiellement de bactéries. Pour se reproduire, leurs plasmodes vont chercher à s’élever sur un proche support où ils pourront être au sec, afin de développer les structures où pourront s’élaborer les spores destinées à la reproduction. C’est à ce dernier stade qu’il nous est possible de les identifier en observant leurs caractères morphologiques, macroscopiques et microscopiques.
La plupart des espèces sont ubiquistes, n’ayant pas de nourriture préférentielle. D’autres se nourrissent de cortège bactériens particuliers, l’exemple le plus connu étant celui des myxomycètes « nivicoles », dont les plasmodes vivent dans le film d’eau qui existe entre la neige et le sol, lorsque les conditions météorologiques adéquates sont réunies. Leur métamorphose s’effectue lorsque la neige fond et l’observation des sporocarpes peut être faite au bord des plaques de neige fondante. Enfin quelques rares espèces sont liées à une source de nourriture propre à des micro-habitats, parfois dépendants d’une plante précise. Les plus remarquables sont Didimium tussilaginis et D. vernum qu’on ne va pouvoir observer que sous les feuilles de Petasites hybridus, Et bien entendu, entre les ubiquistes et les inféodées strictes se trouvent une multitude d’espèces plus ou moins préférentielles de micro-habitats, par exemple les écorces d’arbres vivants, la résine s’écoulant des conifères blessés ou les excréments d’herbivore.
Amorphophallus titanum est une plante de la famille des Araceae. Son inflorescence est l’une des plus hautes du monde, avec plus de 3 mètres. Espèce endémique de Sumatra, elle croît dans les forêts tropicales humides de la partie occidentale de l'île. Elle fleurit entre octobre et mars, durant la saison des pluies et ses fruits sont mangés par les calaos (source Wikipedia). Le jardin botanique Jean-Marie Pelt en possède 5 exemplaires, offerts par le jardin botanique de Meise (Belgique). L’un d’entre eux a fleuri en 2023, à partir d’un bulbe de 30 kg, l’inflorescence a atteint 195 cm en juillet 2023 (source Jardin botanique Jean-Marie Pelte, journal d’un Titan). Nous avons saisi l’opportunité de cette floraison pour contrôler l’éventuelle présence de myxomycètes associés à cette plante peu commune.
Méthode :
La méthode de la chambre humide a seule été employée pour mener à bien cette étude.
A notre demande, Madame Carine Denjean, responsable des herbiers du jardin botanique Jean-Marie Pelt a eu l’amabilité de nous procurer différentes parties sèches de l’inflorescence : une cataphylle, des morceaux de spathe et de la partie supérieure de la spadice. Les éléments avaient été prélevés après floraison, le 19 juillet 2023 par Douglas Tavares Lisboa et constituaient un double de la planche d’herbier NCY024408.
Ils ont été placés en chambre humide à partir du 27-07-2023 jusqu’au 07-01-2024, date à laquelle il n’y avait plus d’espoir de voir apparaître de nouveaux spécimens ; durant ce laps de temps, les cultures ont été humidifiées et inspectées à intervalles réguliers (4 à 5 jours) à l’aide de notre loupe binoculaire, grossissement 7 à 50 fois. Des images des différents stades de développement des myxomycètes ont été capturées, du plasmode aux fructifications.
Résultats :
Si notre objectif était de peut-être découvrir un myxomycète particulier associé à cette plante particulière, nous avions bien aussi identifié que la plante vivait en milieu fermé (serres) et de ce fait pouvait ne pas porter beaucoup de spores de différentes espèces, contrairement à ce qui se passe en milieu naturel. Aussi c’est sans surprise que nous n’avons obtenu que quatre espèces au total, toutes assez communes.
Cataphylle : les éléments placés en chambre humide le 27-07-2023 sont restés vierges de toute colonisation (y compris de moisissures) jusqu’au 23-10-2023 où sont apparus simultanément des moisissures, les premiers plasmodes et des fructifications de Didymium squamulosum (conservés dans notre herbier sous le numéro BW4412). Ces exemplaires ont la particularité d’avoir un stipe inhabituellement développé (plus long que le diamètre du sporocyste). Les spores de ø = 8µm, ornées de verrues avec des groupes plus foncés, se situent dans la fourchette basse des descriptions données par la littérature (Poulain & al. 2011 ; Baumann & al. 1995) ; photos a, b et c ci-dessous. Une description plus détaillée de l’espèce avec des représentants plus typiques se trouve à la page Didymium squamulosum.
a : Didymium squamulosum BW4412 Hauteur totale 2 mm
b et c : spores x 1000 de D. squamulosum
Spathe et spadice : les éléments placés en chambre humide à partir du 28-07-2023 ont vu apparaître des plasmodes le 20-08-2023, et les premières fructifications le 25-08-2023. Les plasmodes étaient vigoureux et se sont développés très rapidement (voir annexe ci-dessous). De couleurs diverses, nous pensions qu’ils fourniraient des espèces différentes, mais ne sont apparues au total que quatre espèces :
- Didymium difforme, très fréquent, non conservé, dont une description peut être consultée à la page D. difforme.
- Didymium nigripes, espèce fréquente, photo d ci-dessous et description plus détaillée à la page D. nigripes
d : Didymium nigripes BW4281
- Didymium squamulosum, quelques exemplaires identiques à ceux décrits ci-dessus.
- Physarum compressum.
Cette dernière espèce est très polymorphe, il en existe des formes stipitées et des formes quasi sessiles, compressées latéralement comme dans le type, mais parfois aussi subglobuleuses, avec des sporocystes individualisés ou se développant un peu entassés les uns sur les autres. Cette diversité est accentuée pour les spécimens obtenus en chambre humide, on y observe fréquemment des formes qui s’éloignent des exemplaires typiques rencontrés dans la nature, avec également un péridium plus ou moins chargé en calcaire. Une description plus détaillée de l’espèce se trouve à la page Physarum compressum.
A ce polymorphisme macroscopique s’est ajoutée une très grande variabilité dans la couleur et l’ornementation des spores, à tel point que nous avons longtemps pensé qu’il pouvait y avoir plusieurs espèces ressemblantes en mélange dans nos cultures. Mais nous n’avons pas trouvé de correspondance entre formes macroscopiques et caractères microscopiques nous permettant de relier l’une à l’autre, et nous en concluons provisoirement qu’il ne s’agit que d’une seule et même espèce très polymorphe. Des analyses génétiques seront éventuellement entreprises après consultation de spécialistes de ce groupe.
Ci-dessous quelques images des différentes formes de P. compressum obtenues sur le spathe et la spadice (grossissement divers, taille réelle entre 1 et 1,4 mm) et de leurs spores (grossissement 1000) :
e, f, g et h: BW4409, aspect macroscopique de P. didermoides
i, j, k et l : BW4295, spores ayant un aspect de P. spectabile
e et f : Physarum compressum BW4409
g et h : P. compressum BW4409 spores x 1000
i et j Physarum compressum BW4295
k et l : P. compressum BW4295 noeuds calcaires (400x) et spores (1000x)
Discussion … et conclusion :
il y a peu de matière à discussion … l’attente était de découvrir la présence éventuelle de myxomycètes particuliers sur cet habitat particulier ; 4 Physarales sont apparues, à savoir 3 Didymium et 1 Physarum, toutes étant des espèces communes ; si les Didymium n’ont été présents que par un petit nombre d’exemplaires (moins de 10 pour chaque espèce), le Physarum à l’opposé est apparu en plusieurs centaines d’exemplaires sur une période de plusieurs mois. Sa détermination sera soumise à l’approbation de spécialistes de ce genre. En toute théorie l’étude devrait être poursuivie par la mise en culture des parties de la plante en contact avec le sol, épines, épiderme. Mais la plante n’étant pas dans son habitat naturel cela ne ferait pas sens.
Remerciements : nous adressons nos remerciements à toute l’équipe du jardin botanique Jean-Marie Pelt qui nous a permis ces recherches inhabituelles : son directeur Frédéric Pautz, ainsi que Karim Benkhelifa, Carl Berthold, Carine Denjean, Thierry Mahevas et Douglas Tavares Lisboa. J’espère n’oublier personne.
Bibliographie :
- BAUMANN K., NEUBERT H. & NOWOTNY W. 1995. Die Myxomyceten Deutschlands und des angrenzenden Alpenraumes. Tome 2, Karlheinz Baumann Verlag. Gomaringen.
- POULAIN M., MEYER M. & BOZONNET J. (2011). Les myxomycètes. Fédération mycologique et botanique Dauphiné-Savoie.
- Leontyev, Dmytro & Schnittler, Martin & Stephenson, Steve & Novozhilov, Yuri & Shchepin, Oleg. (2019). Towards a phylogenetic classification of the Myxomycetes. Phytotaxa. 399. 209-238. 10.11646/phytotaxa.399.3.5.
- Stephenson, S.L., Schnittler, M. (2017). Myxomycetes. In: Archibald, J., Simpson, A., Slamovits, C. (eds) Handbook of the Protists. Springer, Cham. https://doi.org/10.1007/978-3-319-28149-0_44
Annexe : quelques images des plasmodes et fructifications dans les boites de culture.
11-11-2023 : un plasmode est parti visiter le couvercle de la boite de culture.
28-10-2023 : de nombreuses larves d’insectes se nourrissent du limbe du spadice, pour l’instant elles délaissent les veines du plasmode.
01-10-2023 : ce plasmode ne sembla pas affecté par les moisissures.
28-10-2023, celui-ci s’autorise un réseau et quelques bulles. Après un démarrage vigoureux, il a périclité et n’a pas fourni de fructifications.
13-09-2023 : un jaune et un blanc se partagent la spathe sans se disputer.
29-08-2023 Veines et plages de prospection. Contrairement aux apparences, ce plasmode n'est pas bicolore ; il est blanc comme on le voit sur la plage de prospection ; les veines se sont chargées de dépôts et sont opacifiées, la circulation du plasma n'y est plus visible ; il a produit des P. compressum typiques, sur le plastique de la boite. Image ci-dessous.